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Repenser les communs en temps de Covid-19

Chez Sparknews, nous croyons que les temps de crises, comme ils balaient nos certitudes, sont également de belles opportunités pour nous adapter et repenser nos rapports au monde. Pour une équipe qui tente de faire émerger de nouveaux récits pour accélérer la transition écologique et sociale, nous nous devons d’interroger quels récits germent de cette catastrophe planétaire qu’est le CoVid-19. Dans la #SparkMinute de cette semaine, nous nous intéressons aux communs à travers de belles initiatives locales, des exemples d’entreprises qui s’engagent et repensent leurs modèles et des prises de positions qui nourrissent nos imaginaires.

La fin de la propriété privée exclusive ?

Quel est le point commun entre le sel de Guérande, Wikipédia et Notre-Dame-des-Landes ? Attention, la réponse est dans la question : ce sont des communs. Troisième voie entre la loi du marché et la nationalisation, les biens communs, ou tout simplement communs, sont des ressources gérées collectivement par une communauté. La ressource est préservée et pérennisée par une gestion comportant des règles et une gouvernance. Un commun c’est donc non seulement une ressource mais aussi des interactions sociales, au sein de la communauté prenant soin de cette ressource, que ces interactions soient économiques, culturelles et politiques.

Le terme de “tragédie des communs” a néanmoins de quoi en refroidir plus d’un·e. Son forgeur, le biologiste Garrett Hardin, défend que l’épuisement des ressources communes serait un effet pervers de leur exploitation collective. Il serait en effet rationnel pour chaque personne profitant de la ressource, de l’utiliser au maximum, même si cela entraîne son tarissement. L’être humain, avide de toujours plus, viendrait ainsi à bout de toute ressource naturelle laissée en commun. « La logique inhérente aux biens communs fait sans remords le lit de la tragédie », déclarait ainsi le biologiste. L’article, écrit en pleine Guerre Froide et nourrit de convictions néo-malthusiennes, est toujours l’un des textes les plus cités des sciences sociales et a prévalu durant des décennies dans tous les modèles de développement, comme par exemple les plans de privatisation de l’eau.

L’économiste américaine Elinor Ostrom a développé depuis une analyse à rebours : les êtres humains sont en effet tout à fait capables de s’auto-organiser pour protéger et exploiter les ressources desquelles ils dépendent pour leur survie. Des paysans de l’Angleterre médiévale aux communautés autochtones d’Amérique latine, le monde regorge d’exemples de communs qui n’ont pas été épuisés. Les ressources sont partagées au sein de communautés qui organisent collectivement leur exploitation. Des logiciels libres aux jardins partagés, des tiers lieux artistiques autogérés, en passant par les sciences ouvertes ou les AMAPs et les épiceries coopératives, vous bénéficiez peut-être déjà de communs et de leur gestion collective.

Les crises liées au coronavirus a accéléré ces réflexions: certaines ressources ne devraient-elles pas être sorties du marché ? En mai, le groupe Sanofi faisait polémique en annonçant un accès prioritaire du marché américain au possible vaccin contre le CoVid-19. Le gouvernement français s’indignait alors en appelant à la notion de bien commun mondial. La gestion des biens communs par l’État est également mis à mal alors que des membres du gouvernement sont attaqué en justice pour leur gestion de la crise. Cette crise, et celles qui la précèdent nous ont pourtant prouvé que nous vivions en réseau, que nous sommes interdépendants. Le respect des gestes barrières a également fait de chacun·e de nous des gestionnaires du bien commun qu’est la santé publique. Au-delà des exemples de cette newsletter d’associations et de collectifs qui ont été au cœur des mobilisations et continuerons à l’être, la notion de communs nous invite à faire un pas de côté. Souhaitons-nous participer à la gestion de tous les biens qui nous permettent de vivre ? Dans quelles situations voulons-nous déléguer cette responsabilité à l’État ou au marché ? Quelles nouvelles formes d’organisation nous permettrons d’allier liberté et collectif ?

Quand les organisations s’engagent

Confronté·e·s à un télé-enseignement précipité et à des environnements numériques de travail (ENT) surchargés, les enseignant·e·s français·e·s se sont tournés vers Zoom, Google Drive, WhatsApp ou encore Discord. Ces outils posent question quant à l’usage des données personnelles de leurs utilisateurs. Début juin, le ministère de l’éducation nationale a déployé la première version d’Apps.education, une plate-forme d’outils numériques, composée de logiciels gratuits, respectueux de la vie privée des utilisateurs et dont le code est ouvert et vérifiable par tous. Découvrez cet article du Monde pour en savoir plus.

90 % des variétés agricoles traditionnelles ne sont plus cultivées alors que les semences inscrites au catalogue officiel, et donc commercialisées, sont la propriété d’une poignée de multinationales dont Monsanto. Fin 2019, Open Source Seeds a lancé la campagne « pain libre ». Deux exploitations agricoles , une minoterie, ainsi que plusieurs boulangeries berlinoises se sont rassemblées pour protéger tous les ingrédients de ce pain  par la Licence Semence Libre. Autre victoire récente à découvrir dans We Demain : depuis le 11 juin, les paysan·ne·s peuvent légalement vendre des semences non-inscrites au catalogue officiel aux jardinièr·e·s amateurs.

Même avec des paillasses difficiles d’accès, la science participative n’a pas dit son dernier mot. En pleine crise du coronavirus, la plateforme à but non lucratif Just One Giant Lab (JOGL) a lancé OpenCovid19. Zach Mueller, David Cong, Kat Holo et Thomas Landrain ont imaginé ce rassemblement de passionné·e·s, professionnel·le·s ou non, pour mettre au point des innovations requises à moindre coût comme des tests de détection ou des pousse-seringue. Le fruit de leur coopération est ensuite en open source, avec une licence permissive, et peut donc être utilisé par tout le monde, y compris dans un cadre commercial. En deux semaines, 4000 personnes issues de 120 pays s’y sont inscrites. Aujourd’hui, le programme compte toujours mille membres très actifs. A lire dans Uzbek & Rica.

Initiatives locales contre désordre global

Le transport voit aussi de nouvelles formes de gestion naître. Créée en 2019 dans le Lot, la société coopérative Railcoop veut remettre en service des lignes de train interrégionales supprimées par la SNCF, à commencer par la liaison Bordeaux-Lyon (6 h 47). Profitant de l’ouverture à la concurrence fin 2020, la société à but non lucratif veut proposer un billet Lyon-Bordeaux à 38 euros Sachant que chaque rame coûte 11 millions d’euros pièce à laquelle ajouter le coût de la licence, la société a besoin de 690 000 voyageurs par an sur cette ligne selon 20 minutesElle peut déjà compter sur ses 1300 sociétaires.

2,2 milliards de personnes vivent sans accès à l’eau potable dans le monde. Au cours d’une crise où se laver les mains était obligatoire, celles et ceux qui veulent faire reconnaître l’eau comme bien commun ont mis en exergue les loupés de la privatisation des services de fourniture d’eau potable. En France des associations se sont mobilisées avec l’installation de points d’eau en urgence. Au Chili, l’association Modatima a déployé en urgence une campagne pour récolter des fonds et livrer deux bidons de six litres d’eau par personne dans les zones rurales les plus atteintes par la sécheresse et le manque d’eau selon Reporterre.

Proche de l’exemple historique des pâturages anglais gérés de façon collective avant d’être transformés en propriétés privées délimitées par des clôtures, les jardins partagés ont la côte. Dans le XXe arrondissement dans le nord de Paris, le jardin partagé Soleil Blaise permet aux habitant·e·s de se nourrir du fruit de leur récolte d’après ce reportage de RFI. À Nantes, une cinquantaine de sites, représentant au total 25 000 m2, ont été choisis pour devenir des potagers pour aider des familles en difficulté selon Ouest-France. Pour aller plus loin, le mouvement Nyéléni pour la souveraineté alimentaire a lancé en juin un guide pratique pour soutenir les luttes pour la terre des petits producteurs et des communautés locales.

Autre maillon de la chaîne alimentaire en commun, les épiceries collaboratives. Ces structures proposent aux membres un juste équilibre entre le coût d’achat et le prix de vente. En échange, les adhérent·e·s de l’épicerie doivent consacrer quelques heures toutes les quatre semaines à la gestion et au bon fonctionnement du supermarché. Dans le 9ème arrondissement parisien, l’association Les voisins du 9ème est en train de lancer un projet de supermarché coopératif en acquérant le fond de commerce de feu Terra Gourma, son stock, et son mobilier. Une offre de reprise a été déposée auprès de l’administrateur judiciaire fin mai grâce aux 29 190 € récoltés auprès de 152 adhérent·e·s.

Et si on imaginait plus loin ? 

Dans cette série de 4 épisodes A la recherche du bien commun d’Entendez-vous l’éco ? sur France CultureTiphaine de Rocquigny interroge les liens entre communs et propriété privée. Après un épisode introductif, sont abordés les cas spécifiques de la nature, du numérique ou du travail en commun. Parue en 2018, cette série a depuis été complétée par cet entretien, toujours sur France Culture, de Benjamin Coriat, professeur d’économie à l’Université Paris XIII et auteur de Vers une république des biens communs ? À écouter ici et ici.

Dans une tribune pour Libération, l’historien Timothée Duverger, le chercheur en philosophie Sébastien Claeys, et le professeur de littérature Florent Trocquenet-Lopez développent la thèse selon laquelle le convivialisme serait une philosophie politique pour le «monde d’après». Ils s’appuient sur le Second manifeste convivialiste, signé par 300 intellectuel·le·s et paru chez Actes Sud, un ouvrage consacré à l’impératif de limitation accompagné de cinq principes : commune humanité, commune naturalité, commune socialité, légitime individuation et opposition maîtrisée. Attaquant le néolibéralisme qui a constitué le lit de la crise sanitaire, ils observent “la haine des communs” comme l’un des maux qui s’est révélé avec le coronavirus. En réponse, ils proposent la construction d’une société écologique et solidaire partageant un fond idéologique minimal : le convivialisme. Une société du communs également défendue par l’économiste Hervé Defalvard dans cette tribune au MondeÀ lire ici et ici.

Quels sont les interactions entre communs et institutions politiques, que ce soit au niveau des États, des grandes villes ou des régions ? Alors que les exemples se multiplient en Bolivie, en Équateur, en Espagne, en Grande-Bretagne, en France ou en Italie, le risque de  commons washing  grandit. À l’occasion du Forum Social Mondial et du Forum mondial de l’économie sociale GSEF à Montréal en août et septembre 2016, Remix Biens Communs a réalisé un reportage d’une vingtaine de minutes, interrogeant celles et ceux qui se sont lancés dans l’aventure collective. Des exemples plus récents sont à trouver dans cette mission d’étude sur les communs urbains de Montréal et Barcelone menée par Cities et Solon Collectif ainsi que dans la recherche-action Coopérations, ouverte aux contributions, initiée par Michel Briand qui documente les postures et les compétences pour favoriser le développement de communs.  À regarder ici.

Chaque semaine, la minute Spark c’est une invitation à découvrir les initiatives face à la pandémie qui nous inspirent mais aussi nous permettent de réfléchir à l’après. Nous sommes persuadé•e•s que cette crise renferme de précieux enseignements sur notre système économique mondialisé. Qu’il s’agisse d’éducation, de solidarité, de rapport au travail ou au vivant, à nous de refuser de revenir au statu quo une fois la crise sanitaire passée. Découvrez les éditions consacrées à l’éducation, l’énergie, le travail, l’alimentation, la biodiversité, la démocratie, les biorégions, le genre, la solidarité, l’économie circulaire et le temps.

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